Voici quelques jours que je vous bassine avec le sténopé, mais peut-être ne savez-vous pas exactement de quoi il s'agit.
(Là, je pense à toi, mon petit frère !)
Je vous mets donc en ligne un petit texte que j'ai écris il y a 2 ou 3 ans pour expliquer succinctement la chose à mes stagiaires, souvent adolescents, qui ont quelques notions de photographie.
Qu’est-ce qu’un sténopé ?
Le mot français sténopé est formé de deux racines grecques qui signifient trou étroit. L’équivalent anglais se dit pinhole, traduit par trou d’épingle.
Un sténopé est donc un tout petit trou percé par la pointe d’une épingle.
Le sténopé et la photographie
Le principe de la formation d’une image par projection à travers un petit trou est connu depuis l’antiquité. La première Camera Obscura (chambre noire) dessinée par Léonard de Vinci reprenait ce principe pour visualiser l’image d’un paysage. Cette boîte était en fait un ancêtre de l’appareil photographique ; il manquait alors l’objectif composé de lentilles et la surface sensible pour enregistrer l’image. Les premiers objectifs, d’abord à une seule lentille, sont apparus au XVIe siècle. Ils permettaient d’avoir une image plus lumineuse et plus nette. Les camera obscura se firent alors plus imposantes mais transportables et de nombreux peintres s’en servirent pour esquisser leurs paysages. Les premières possibilités d’enregistrement puis de reproductibilité d’une image sont dues d’abord à Nicéphore Niépce, puis Daguerre, enfin Henri Fox-Talbot au milieu du XIXe siècle. L’utilisation d’un petit trou était alors totalement délaissée au profit de l’objectif. Vers la fin du XIXe siècle cependant, les Pictorialistes remirent quelque peu le sténopé à l’honneur. Mais ce mouvement artistique n’eut pas de suite après la Première guerre mondiale et la photographie au sténopé tomba dans l’oubli. Dans les années 1960-1970, le mouvement artistique Italien Arte Povera (art pauvre) se réappropria l’usage du sténopé. Au milieu des années 70 la publication du livre « Pinhole photography, rediscovery of a historical technique » de Eric Renner aux Etats-Unis marqua le renouveau de cette pratique (la troisième édition est sortie il y a quelques mois).
Avantages et inconvénients de la photographie au sténopé
Dans la photographie au sténopé, chaque qualité est en même temps un défaut… et réciproquement !
• Le coût
Concernant le matériel nécessaire à cette pratique, il suffit d’un investissement de quelques euros… au départ. Une boîte, de la peinture noire, une feuille d’aluminium, une aiguille et un peu d’habileté manuelle suffisent. Mais il existe aussi des boîtes en bois, très belles, vendues dans certaines officines spécialisées… ce n’est pas le même prix et il faut se contenter des formats imposés.
Les émulsions utilisées offrent les mêmes variations : le simple papier photographique ne coûte pas bien cher, de même que quelques pellicules en format courant (135 ou 120) mais si l’on commence à vouloir envisager des formats plus importants avec l’usage de plans-films, la note commence à grimper sérieusement !
• La netteté de l’image
Partisans et détracteurs du sténopé s’accrochent volontiers sur cette notion. Le sténopé produit une image qui n’est ni nette ni floue. Elle a simplement la même netteté – ou le même flou - sur toutes les parties de l’image, des plus proches aux plus lointaines. La profondeur de champ est la plus importante qui soit puisqu’elle va de Zéro à l’Infini ! On accepte ou on refuse, on aime ou on n’aime pas !
• Le temps de pose
Il n’est pas envisageable d’utiliser un appareil à sténopé pour faire du reportage ! mais bien sûr tout dépend de la notion que l’on a du reportage ! Ce qui est sûr, c’est qu’il est impossible d’effectuer un instantané ! D’une part, en raison du très faible diamètre du trou par lequel la lumière passe pour impressionner l’émulsion -et a fortiori si cette émulsion est du papier photo- d’autre part, dans la très grande majorité des cas, les boîtes ne comportent pas d’obturateur capable d’effectuer des fractions de secondes. Les temps de pose sont donc au minimum de l’ordre de la seconde, atteignent et dépassent fréquemment la minute, peuvent même être de l’ordre de l’heure voire des heures en cas de prise de vue nocturne… La photographie au sténopé est donc une action réfléchie !
• Les aberrations optiques
En l’absence de tout système optique, il est évident que certaines aberrations optiques ne peuvent être présentes. Pas de déformation en coussinet ou en barillet, donc, même lorsque la focale est de type grand angulaire ! Cela ne résout cependant pas le phénomène de diffraction qui existe malgré tout, en particulier lorsque le trou est extrêmement petit ; mais il devient intéressant de jouer avec lorsque l’on se place légèrement à contre-jour…
Au-delà des considérations techniques, les principaux intérêts de la photographie au sténopé résident dans les points suivants :
Une mise en œuvre simple et peu coûteuse d’un appareil souvent léger.
La possibilité de créer des images de grands formats à un coût moindre.
La création d’appareils aux formes, soit les plus simples, soit inusités engendrant des anamorphoses, des superpositions… la porte ouverte à l’imaginaire !
Au chapitre des « inconvénients », je citerai seulement l’unicité de prise de vue avec certaines boîtes pour lesquelles il est vraiment difficile de changer d’émulsion en extérieur.
Fabriquer un appareil à sténopé
Il existe plusieurs manières d’envisager cette création : partir d’un appareil et le transformer, détourner une boîte de son utilisation, ou fabriquer l’ensemble de A à Z.
• A partir d’un appareil photo.
Une fois encore, deux possibilités se présentent :
La transformation irrévocable d’un vieil appareil, en lui ôtant son objectif et le remplaçant par un sténopé, permet de conserver l’avancement du film et parfois la visée.
Le percement d’un bouchon de boîtier à objectifs interchangeables permet d’avoir deux appareils en un, tantôt avec objectif, tantôt avec sténopé… dans chacun des cas, le film est entraîné et la mesure de la lumière peut parfois être conservée.
• Détournement d’une boîte.
Que ce soit une boîte à chaussures en carton, une boîte à café, à thé, à bonbons, à cigares, à… ou la petite boîte en plastique noire qui contenait quelques minutes auparavant une pellicule 135, toute boîte est un sténopé en devenir ! Plus largement même, tout contenant peut se transformer en sténopé !
• La fabrication de A à Z
En carton ou en bois, habileté manuelle et grain de folie sont de rigueur !
Quel que soit le chemin choisi pour créer son appareil à sténopé, on est toujours contraints de suivre certaines règles de l’optique pour avoir une image de la meilleure qualité possible.