samedi 4 octobre 2008

C'est la rentrée ! Mordancez!

Il n'y a peut-être pas de quoi danser pour fêter le retour du labeur automnal, mais c'est une bonne époque pour MORDANCER.
Si je me décide, enfin, à mettre cet article sur mon blog, c'est que, d'une part on m'a demandé des renseignements sur le sujet il y a peu et, d'autre part que le site de l'association Hélios n'existe plus; or cet article constituant les seuls renseignements que l'on pouvait trouver en français sur le sujet se trouvait dans la partie technique de feu le site d'Hélios. Afin de continuer à promouvoir cet aspect fort intéressant de la photographie, je vous propose donc quelques pages de lecture. Si vous voulez également savoir à quoi peuvent bien ressembler des images mordancées rendez-vous sur mon album de Flickr : http://www.flickr.com/photos/marinoel/sets/72157602796626830/

Qu'est ce donc que le mordançage ?????
Un procédé ancien ? Un procédé alternatif ?
En tout cas, un procédé toujours peu connu.



Si vous vous précipitez sur l'imposante encyclopédie de la photographie en 11 volumes faite par Kodak, vous en serez pour vos frais; le mot ne figure même pas dans leur index. Allez plutôt consulter votre petit dictionnaire Larousse : mordançage ; nom masculin, venant de mordant. Bon, on aurait pu le deviner. Métallurgie ... Teinturerie ... Ah ! dans son troisième sens, en photographie: « Opération fixant un colorant sur une surface réceptrice. » Si vous avez un peu plus de courage, plongez-vous dans la bible du photographe, je veux parler de La technique du photographe de Louis-Philippe Clerc, ou même dans les écrits du grand chimiste Pierre Glafkidès. Dans l'un comme dans l'autre vous trouverez le moyen d'effectuer des « virages par mordançage ».
Alors s'agit-il seulement d'un moyen de colorisation des images? Cet aspect, premier certes, est à mon sens l'un des moindres. Le mordançage, tel qu'on peut le pratiquer aujourd'hui, est surtout un moyen purement photographique de créer une image qui permet, enfin, d'aller au-delà du réel : avec le mordançage, la vérité est ailleurs ! ! !

Un procédé ancien

Au début du siècle dernier - le XXème pour ceux qui auraient oublié - les émulsions étaient uniquement monochrome, dans une gamme limitée allant du noir au blanc. Les virages étaient, certes, abondamment usités depuis les débuts de la photographie sur métal - en 1842, Louis Auguste Bisson, par exemple, protégeait ses daguerréotypes en les recouvrant d'une mince couche d'or par galvanoplastie- mais le but alors recherché était essentiellement la permanence de l'image; la coloration globale que pouvait prendre l'épreuve était un corollaire paraissant mineur. Le besoin de couleur existait cependant, surtout depuis l'apparition du cinématographe. Il fallait non plus colorer des tirages papiers mais des transparents destinés à la projection. Les recherches entamées par A. Traube (1906) poursuivies par R. Namias (1909-1911) ont conduit J.L.Cabtree à publier en 1917 des modes opératoires de virages par teinture sur mordançage apportant à la fois la couleur et la transparence. On pouvait ainsi teindre dans les couleurs primaires un même cliché en trois exemplaires et par superposition on obtenait ... une diapositive. La relation avec le modus operandi de la teinturerie était évidente : le mordant, souvent un ferrocyanure métallique, préparait gélatine et argent métallique à se combiner avec un colorant souvent employé dans l'industrie textile. Alternative à l'Autochrome des frères Lumière, il ne semble cependant pas que cette méthode coloriste lui ait fait de l'ombre. Et bien évidemment, l'intérêt pour cette technique s'éteignit de lui-même lorsque les premières véritables émulsions couleurs firent leur apparition (1935, Agfa et Kodak).
Alors, la pratique actuelle du mordançage résulte-t-elle de la résistance obstinée d'un groupe d'irréductibles?


Le Renouveau

C'est à Jean-Pierre Sudre (1921-1997) - largement connu et reconnu avec sa femme Claudine pour ses recherches et applications sur les procédés anciens - que l'on doit la réapparition du mordançage dans le paysage photographique dans les années mil neuf cent soixante-dix.
Mais la question que l'on peut se poser est : S'agit-il du même procédé?
En effet si l'on compare les formules, magiques comme il se doit, cela n'a pas grand-chose en commun. Si l'on se réfère aux effets, nous sommes en présence de cousins. Car si les virages, totaux ou partiels, sont également facilités, la préparation mise au point par J.P. Sudre peut provoquer aussi une rupture des chaînes peptidiques par oxydation catalytique ...
Cet énoncé ne vous avance pas ? Alors, plus simplement on peut dire que cela peut entraîner un gonflement tel de la gélatine - dans ses parties les plus insolées, les noirs de l'image , qu'elle en arrive à éclater d'une manière complètement aléatoire.
En cela, n'ayons pas peur des mots, ce procédé est totalement jouissif ! ! !
On peut alors déshabiller l'image, enlever une à une ces peaux de gélatine, les déplacer; on peut caresser, langoureusement ou avec passion, ce gélatino-bromure d'argent en le débarrassant plus ou moins de l'argent métallique jusqu'à n'avoir plus que le support papier nu. Tout est affaire de sensibilité, d'imagination, de doigté ...
Le mordançage est d'un érotisme torride! ! ! Auparavant vous travailliez une surface ; vous aviez inclus la troisième dimension par le temps de pose. Désormais, vous êtes dans la quatrième dimension, celle du relief - vous sculptez! !
Vous pensez que j'exagère ? Suivez le petit guide et essayez par vous-même! ! !

Formule Magique

Les ingrédients :
Chlorure cuivrique (cuivre II) 10 g
Acide Acétique 5O cc
Eau oxygénée à 110 vol.. 20 à 25 cc
Eau qspf 1000 cc

• Dans un demi-litre d'eau à environ 20°C, dissolvez 10 g de chlorure cuivrique.
• Ajoutez doucement 50 centimètres cubes de l'acide acétique que vous utilisez habituellement pour fabriquer votre bain d'arrêt , sans colorant bien sûr.
• Versez, avec moult précautions pour vos petits doigts, 25 millilitres d'eau oxygénée à 110 volumes ou 20 ml à 130 volumes.
• Enfin, complétez par de l'eau, pour obtenir 1 litre d'une solution translucide de couleur cyan ...
La voie du septième ciel !
Ce bain peut se conserver du jour au lendemain dans un flacon bouché, mais attention à l'affaiblissement de l'action de l'oxygène qui s'évade malgré tout… Donc n'ayez pas peur de travailler avec des solutions neuves.

Organisation

Ces opérations s'effectuent en pleine lumière, dans un local assez bien ventilé, à proximité d'un point d'eau dont la température peut être réglée.
Vous aurez besoin d'au moins quatre bacs contenant respectivement:
- Bain de mordançage, que vous venez de préparer
- Bain de rinçage : de l'eau, que vous renouvellerez
- Bain de redéveloppement : votre révélateur habituel
- Bain d'arrêt: acide acétique dilué environ 20 cc pour un litre

Il vous faudra également:
- Un thermomètre pour vérifier la température de vos bains
- Un chronomètre de laboratoire
- Des pinces pour tremper et surtout retirer le papier des bains, en particulier le bain de mordançage qui, comme son nom vous l'indique, mord méchamment.
-Une plaque de verre, ou de plexiglass, suffisamment grande pour poser votre tirage dessus.

À titre expérimental prenez un tirage papier, du baryté de préférence, possédant de beaux noirs intenses. Cela fonctionne mieux avec les papiers au chlorobromure ...
Quand vous aurez acquis de l'expérience, vous produirez des images spécialement pour être mordancées. Vous pourrez également essayer sur des négatifs.

Si vous décidez de mordancer en fin de séquence de tirage, évitez d'utiliser un fixateur tannant, lavez consciencieusement (6 eaux de 5mn minimum) mais ne séchez pas votre tirage. Si, au contraire vous utilisez un tirage effectué depuis quelques temps, trempez-le environ une demi-heure dans de l'eau tiède (environ 25° mais pas au-dessus de 30°) pour regonfler et ramollir la gélatine.
Égouttez le tirage, pour ne pas noyer le bain de mordançage.

Action!

1- Trempez votre tirage dans le bain de mordançage et laissez agir environ 2 minutes.
Durant ce temps, le tirage blanchit, et avec un œil exercé vous verrez la gélatine gonfler surtout dans les anciens noirs s'affaiblissant.
2- Rincez abondamment votre tirage dans de l'eau à 20°.
Attention, l'action mordante continue durant les premiers rinçages ! L'affaiblissement se poursuit et vous pouvez voir de multiples petites bulles d'oxygène s'échapper du tirage. Le gonflement de la gélatine est bien visible. Il faut absolument bien rincer pour qu'il ne reste plus de produit dans les fibres, sous peine de taches jaunâtres irrémédiables.
Si vous désirez une action plus violente, il suffit d'augmenter la température de l'eau, mais ne pas dépasser 30° sous peine de n'avoir plus rien à dépouiller ...
3- Redéveloppez le tirage pour faire remonter les noirs.
Vous observerez dans cette phase, au fur et à mesure de la densification, le gonflement de la gélatine noircissante qui veut se faire plus grosse que le bœuf, et comme la grenouille finit par exploser!
C'est particulièrement peu ragoûtant : du sang noir se répand dans le révélateur, des lambeaux de peau flottent à la surface ... Bon, c'est violent mais pas tant que ça ! ce ne sont que des bouts de gélatine et ce qui s'écoule, c'est l'argent métallique contenu dans l'émulsion ! Cela signifie seulement que votre révélateur se salit facilement et qu'il faudra le changer fréquemment. Vous pourrez même augmenter sa concentration pour contrecarrer l'aspect affaiblissant du mordant (ex: si vous utilisez du Neutol®, passez de 1+9 à 1+7).
Votre gélatine est globalement dans un sale état, elle a explosé à certains endroits sans vous demander si c'était là que cela vous intéressait… Maintenant à vous de vous débrouiller avec ça. Commencez donc par lui redonner un peu de vigueur.
4- Trempez ce qui reste dans le bain d'acide acétique durant une bonne minute. Cela agira comme bain d'arrêt de cette torture et accessoi¬rement durcira légèrement la gélatine.
5- Posez délicatement votre tirage mordancé sur la plaque de verre et. .. Observez !

X-File! ou comment déshabiller une image!

Si jusqu'à présent vous n'avez pu maîtriser totalement l'action, ici vous devez vous conduire en maestro.
Vous allez déplacer les morceaux de gélatine dans la direction qui vous intéresse, l'enlever par endroits, voire l'arracher. Vous allez caresser ces surfaces noires, rejetant l'argent métallique aux oubliettes, allégeant un peu ici, éclaircissant là, mettant totalement à nu ailleurs ... Une véritable phase de séduction !
Vous aurez envie de voir ce que cela donne dans les gris, dans les zones claires ... Vous pouvez toujours (vous) brosser! Vous ne verrez qu'un aspect métallique, légèrement miroitant, sur lequel vous ne pourrez avoir aucune action. Votre partenaire est ici fort rétive/rétif, je ne fais pas de sexisme !
Selon la violence de votre mordançage, vous pourrez, par une action manuelle énergique,
obtenir quelques effets sur quelques gris foncés... Mais il faudra vous faire aider par quelques outils. (Désolée, mais la bienséance veut que je censure.)
Pourtant, certains outils sont absolument requis. A commencer par vos mains, c'est l'instrument idéal pour la caresse, surtout sous le jet d'eau émanant d'un coton imbibé ou du robinet, pour évacuer la noirceur de l'argent ou le lambeau de gélatine qui obstrue la vue de la surface voisine. Mais vous pouvez également avoir recours au coton-tige, à l'éponge, aux pinceaux de tous poils, à la brosse à dents ou en chiendent, au bout de bambou, au vaccinostyle, au tampon gratteur de casserole, à la paille de fer .... Et à tout ce que votre imagination pourra trouver !
Ça y est ? ! arrêtez-vous maintenant, reprenez votre souffle, regardez !
Quel était le sujet initial de cette image? Plus rien a voir, n’est-ce-pas.
Il ne vous reste plus qu'à bien laver et mettre à sécher !

Rien ne vous empêche par la suite de reprendre cette image et de pratiquer des colorations, objet initial du mordançage historique. Qu'il soit partiel ou total, avec blanchiment ou direct, vous verrez que cette teinture prendra plus aisément que sur un tirage qui n'a pas vécu une telle expérience. Alors n'hésitez pas à renouveler ce test et surtout laissez courir votre imaginaire ! ! !

Ah! une petite chose encore! L'image que vous venez de créer est totalement unique !
Même si vous êtes parti d'un négatif, donc vous vous êtes donné la possibilité de la reproductibilité, vous n'aurez jamais deux fois de suite la même action au même endroit. Vous aurez quelque chose de très ressemblant, mais pas de totalement identique ...

D'ailleurs, l'uniformisation est-elle un but à rechercher ?
En attendant de répondre à cette question philosophique, amusez-vous bien!

6 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour, je suis très tenté par le mordançage mais où trouver le merveilleux chlorure cuivrique (j'ai cherché à nimes et à lyon : introuvable alors si vous avez une info

merci d'avance
jean-marc

pinholegirl a dit…

Cher anonyme, les produits chimiques pour la photographie se trouvent - à Paris du moins - soit chez Prophot, soit pour le cas qui nous occupe, chez
Coger
79, rue des Morillons
75015 Paris
Tel: 01 45 33 67 17
Fax: 01 45 33 61 66
Bon mordançage!

Anonyme a dit…

merci beaucoup

anonyme = jean marc

Anonyme a dit…

Merci pour ce beau cours de technique ancienne. Je découvre votre blog, voilà enfin des gens qui parlent de sténopé en France, un vrai plaisir !
Xavier
http://argentic.hautetfort.com

Henry a dit…

Il y a un chapitre sur le mordancage dans le (excellent) livre "L'esprit des sels", VM editions, ISBN 2-86258-222-0.
IL semble épuisé, mais vous le trouverez peut être dans votre bilbiothèque municipale.

Anonyme a dit…

Bonjour ,

Depuis deux ans je me suis mis au mordançage.
Le Chlorure cuivrique se commande chez
Grosseron , 37 Bd françois Mitterand BP 70395
44819 St Herbin .Environ 90euros les 500Gr ..
Hydrogène péroxdye 30pour cent 110Volume 500ml
7euros 50cent , en pharmacie .